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Emmanuel Legeard

® Strength and nutrition

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Nutrition : Dix Questions à Emmanuel Legeard - Entretien refondu avec l'aimable autorisation de Mme Gonzalez


Q - Vous avez la réputation d'être l'un des meilleurs spécialistes de la nutrition de force. Comment vous est venu cette passion ?

R - Emmanuel Legeard : Si je me suis consacré à la nutrition de force, c'est pour une raison très simple: il n'y avait rien! On avait écrit des milliers de livres et d'articles sur les sports d'endurance, les culturistes avaient eu la chance qu'on s'intéresse beaucoup à eux, mais il n'y avait pas un livre au monde, pas un cours, pas un journal pour dire quoi que ce soit d'intelligent sur la nutrition des athlètes lourds comme les lanceurs ou les haltérophiles. Or il me fallait des réponses sur un certain nombre de sujets. J'ai donc essayé de comprendre seul, très mal d'abord, parce que je raisonnais en utilisant les catégories diététiques souvent périmées des manuels académiques, et parce que j'étais totalement isolé dans mon intérêt pour la nutrition naturelle des athlètes lourds. Et puis j'ai évolué.

Q - Que penser du régime paléolithique ?

R - Emmanuel Legeard : Je n'en sais rien, du fait que le "régime paléolithique", ça n'existe pas! Entre l'australopithèque et le néolithique, il y a eu une infinité de régimes différents qui ont varié avec les conditions géographiques, climatiques et culturelles. Ce que je peux dire, c'est que l'homme étant un frugivore, il est naturellement attiré par le sucre dont il a besoin nerveusement et musculairement, et qu'en tant que carnivore, il lui faut idéalement des protéines et des acides gras d'origine animale. Evidemment, les végétariens qui sont souvent motivés par d'excellents principes moraux peuvent ruser pour obtenir un régime à peu près complet, mais il faut de la discipline et des connaissances pour y parvenir. Notez que je ne m'oppose pas au régime prétendûment paléolithique puisqu'il impose d'éliminer la "malbouffe".

Q - Que faut-il penser de Tipton quand il dit que le bilan azoté n’a aucun intérêt ?

R - Emmanuel Legeard : Il a raison ! Tout le monde est revenu du bilan azoté pour déterminer le statut ou les besoins d’un athlète; ça ne marche pas, c’est faussé. Les études abondent qui montrent une augmentation du bilan azoté sans aucun changement de la masse musculaire. C’est Rennie, je crois, qui a dit que s’appuyer sur le bilan azoté, c’était comme projeter un voyage dans la lune avec un fil à couper le beurre. Dire que ce n’est pas un moyen fiable de juger du gain de masse maigre n’est pas assez: c’est carrément qu’il n’y a aucun rapport. Même Hegsted l’admettait déjà en 68! Donc, c’est complètement rétrograde. C’est comme l’indice glycémique. A tout prendre, on pourrait au moins lui préférer la charge glycémique. Vous me demandez quelle est la ration idéale, et je n’en sais rien. Ce qu’il faut déterminer, c’est le rapport entre les macronutriments qui est idéal pour vous, et ça, c’est du suivi individuel. Il y a de grandes lignes au fonctionnement du corps humain, mais les méthodes sont des attrape-nigauds. Deux individus apparemment semblables peuvent réagir l’un très mal et l’autre très bien à un même régime. Et là, malgré toute la technologie postmoderne, c’est la grande leçon d’humilité parce qu’il faut tâtonner à l’intuition et parfois pendant des semaines avant d’y voir clair dans le métabolisme d’un individu.

Mark Hegsted 1968

Q - D'où vient la règle des 40 gr de protéines que vous n'avez cessé de dénoncer ?

R - Emmanuel Legeard : Ce que j'ai dénoncé, comme vous dites, c'est les 40 grammes comme plafond, non les 40 grammes comme seuil, proportion qui peut se justifier. Le malentendu a commencé dans les années 60. A l'époque, le grand spécialiste du métabolisme des protéines, Hamish Munro, dirigeait le département de nutrition humaine au MIT. Vers 65, il a montré que c'était le contenu des protéines alimentaires en acides aminés ramifiés qui décidait de la croissance musculaire, et que des trois – valine, leucine et isoleucine – c'était la leucine qui jouait le rôle déterminant. Munro travaillait sur deux isolats de protéines: celui du soja, qui était considéré depuis la fin des années 50 comme celui de référence pour les plantes parce qu'il contient les 8 acides aminés essentiels, et celui du blanc d'oeuf, maître-étalon selon le "coefficient d'efficacité protéique" utilisé depuis 1919. Or il se trouve que le contenu en leucine de ces deux isolats est équivalent: 7 grammes pour 100 grammes. De sorte que pour apporter les 3 grammes de leucine que Munro pensait nécessaires à la surcompensation anabolique, il faut environ 40 grammes d'isolat de soja ou de blanc d’oeuf.

Hamish Nisbet Munro

Q - Jean Texier défendait l’idée curieuse que les acides gras essentiels élevaient la testostérone; est-ce qu’il n’avait pas tout faux, en l’occurrence ?

R - Emmanuel Legeard : Jean Texier avait été cadre supérieur de la Santé publique et international de culturisme. C'était quelqu'un de très intelligent. Ce que Jean disait, c'est que les Omégas-3 tirés de l'huile de poisson gras évitent la conversion de la testostérone en DHT. Là, il parlait du rapport favorable de l'activité anabolique à l'activité androgénique, qui est catabolique. Il avait évidemment raison.

Jean Texier

Q - Est-ce que les protéines en trop peuvent se stocker sous forme de graisse ?

R - Emmanuel Legeard : Se gaver de protéines peut développer le tissu adipeux, c’est certain, parce que l’accumulation d’acides aminés dans le sang déclenche le signal de la synthèse protéique et que ce signal est donné par une enzyme activatrice sensible à la leucine dont la cible, S6K1, a non seulement la capacité de surmener les cellules bêta sécrétrices d’insuline, ce qui souvent entraîne un diabète gras, mais encore de stimuler la prolifération des cellules graisseuses, donc l’invasion du tissu adipeux.

Q - Il y a aussi que les acides aminés se transforment en glucose et que ce glucose se stocke sous forme de graisse, non ?

R - Emmanuel Legeard : Non, je ne crois pas que ce soit important. D’abord, chez l’homme, la transformation du glucose en acide gras n’a pas lieu dans le tissu adipeux, comme chez le rat, mais dans le foie, et cette voie métabolique est si infime qu’elle ne compte pas vraiment. C’est de l’ordre d’un pour cent. Deuxièmement, tous les acides aminés ne sont pas convertibles en glucose via la gluconéogenèse. Troisièmement, la double conversion des acides aminés en glucose, puis du glucose ainsi gagné en graisse corporelle est trop tortueuse pour être efficace, sans compter que son coût énergétique en neutraliserait les effets. Enfin, il y a l'antagonisme insuline/glucagon.

Q - Existe-t-il des substances naturelles capables d'augmenter la testostérone ?

R - Emmanuel Legeard : Le problème, c’est le piégeage par la protéine de liaison, la SHBG, et la conversion de la testostérone en DHT et en oestrogènes. La SHBG est produite dans les mêmes proportions que la testostérone. Elle se lie à 98% de la testostérone circulante et neutralise complètement la moitié. La racine d'ortie est intéressante parce qu'elle contient un lignane qui ressemble assez à une hormone sexuelle pour mystifier l’organisme et saturer la SHBG. Mais il existe bien des choses qui peuvent agir à des niveaux très différents.

Q - Est-ce qu'on peut favoriser les fibres de type II par l'alimentation ?

R - Emmanuel Legeard : Oui, en se désintoxiquant de la caféine, en assurant un apport d'iode normal, en veillant à entretenir un bon statut en vitamine D, en mangeant plus protéiné, en renforçant éventuellement son alimentation avec des acides aminés supplémentaires comme la citrulline, et en évitant évidemment les régimes zéro sucre et la déshydratation. Les fibres rapides sont aussi moins résistantes au stress oxydant que les fibres lentes qui ont un métabolisme oxydatif.

Q - Quel est le problème avec la caféine ?

R - Emmanuel Legeard : A doses massives, fréquentes et systématiques, la caféine exerce une influence indésirable. Premièrement, la caféine enclenche le commutateur clef de la transformation des fibres rapides en fibres lentes, le PGC-1 alpha. Cela a été prouvé par Handschin, par Holloszy et par une foule d’autres… On en fait même un argument publicitaire parce que l'expression renforcée du PGC-1 alpha sous l’effet de la caféine stimule la formation des mitochondries qui assurent la production d’énergie dans les efforts d’endurance. Mais ce qui fait le bonheur des uns fait le malheur des autres, et la dénaturation du phénotype glycolytique anaérobie en phénotype oxydatif est évidemment contraire au développement de la force explosive. Deuxièmement, Bolling l’a montré, la caféine et la théophylline entravent la reconstitution des stocks de glycogène. Or les fibres rapides ont un métabolisme glycolytique. Leur efficacité dépend de leur capacité à consommer beaucoup de sucre "sur place".


Crédits photographiques : M. Thierry Huberman pour la photographie de M. Jean Texier

Emmanuel Legeard

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